La diversité des forêts est une arme contre le réchauffement

La diversité des forêts est une arme contre le réchauffement

14 April 2006

published by www.lemonde.fr


France — Voyez ces deux pins ! Morphologiquement, on dirait des jumeaux : même fût élancé, même ramure. Entre leurs génotypes, il existe pourtant trois à quatre fois plus de différences qu’entre les génotypes de deux êtres humains pris au hasard. Dans le règne végétal, les arbres sont les espèces qui présentent la plus remarquable polymorphie génétique.” Le credo d’Antoine Kremer, directeur de l’unité de recherche Biodiversité, gènes et écosystèmes (Institut national de la recherche agronomique-université Bordeaux-I) de Cestas, en Gironde, tient en un mot : diversité. Contre les accidents climatiques ou phytosanitaires, elle constitue, sinon une assurance tous risques, du moins “la meilleure des garanties”, est-ilconvaincu.

La pinède landaise, où sont installés les 300 hectares du centre de recherches forestières de l’INRA, pourrait en témoigner, comme un contre-exemple. Au cours des dernières décennies, elle a connu le feu (300 000 hectares, le tiers du massif, calcinés en 1949), le gel (50 000 ha perdus en 1985-1986), la tempête (100 000 ha soufflés en 1999). Autant de catastrophes auxquelles la monoculture du pin maritime n’a probablement pas opposé la meilleure parade. Des essais d’acclimatation de nouvelles essences, dont plusieurs exotiques, ont été menés par les chercheurs. Avec de bons résultats pour le chêne rouge d’Amérique ou le liquidambar (ou copalme d’Amérique), mais sans succès pour le frêne de Pennsylvanie et l’eucalyptus, qui ont dépéri ou gelé.

Plus encore qu’à la diversité entre espèces sylvestres, c’est à la diversité génétique au sein d’une même espèce que s’intéresse Antoine Kremer. Un précédent travail sur les chênaies d’Europe lui a valu de recevoir le prix Wallenberg 2006, considéré comme le Nobel de la recherche forestière. En croisant cartographie génétique des arbres actuels et étude des pollens fossiles, il a montré comment le chêne, qui, lors du dernier maximum glaciaire, voilà 18 000 ans, avait presque disparu du territoire européen – à l’exception du sud de l’Italie et de l’Espagne ainsi que des Balkans -, a reconquis la totalité du continent en 6 000 ans, poussant jusqu’à l’Oural à la vitesse stupéfiante de 500 mètres par an. “Les chênes possèdent un énorme potentiel adaptatif. Leurs formidables facultés de dispersion leur permettent de coloniser à la moindre opportunité des espaces nouveaux”, commente le chercheur.

Cette aptitude résistera-t-elle au réchauffement en cours, beaucoup plus brutal – de 1,4 à 5,8 degrés supplémentaires d’ici à la fin du siècle selon les modèles – que ceux enregistrés par le passé ? Pour tenter de le savoir, un programme de recherche à très grande échelle démarre ce printemps, sous forme d’un “réseau d’excellence” financé par l’Union européenne, à hauteur de 14 millions d’euros. Baptisé “Evoltree” (Evolution des arbres), ce projet associe 25 équipes de 15 pays. Il prévoit la création d’un centre commun de ressources génomiques, à Seibersdorf (Autriche), où seront stockés des échantillons d’ADN des principales essences forestières de toute l’Europe. Outre le chêne, vont être également étudiés le pin maritime et le peuplier. A ces trois espèces sont respectivement apparentés les fagacées (châtaignier, hêtre), les pinacées (pin sylvestre, pin d’Alep…) et les salaciées (saule), qui servent de modèle pour la connaissance de la plupart des arbres d’Europe.

L’objectif, décrit Antoine Kremer, coordinateur du réseau, est de déterminer les bases génétiques de l’adaptation des végétaux aux changements climatiques. Dans un premier temps devront être identifiés les gènes impliqués dans la résistance à la sécheresse, ainsi que dans certains caractères phénologiques (rythmes biologiques), comme la date du débourrement, c’est-à-dire de l’éclosion des bourgeons. Un facteur déterminant, puisque le radoucissement a pour effet de rendre la saison de végétation plus précoce – au cours du demi-siècle écoulé, elle a avancé de 5 à 22 jours selon les essences et les régions -, aggravant ainsi le risque que les jeunes pousses soient détruites par des gelées tardives.

La variabilité des séquences d’ADN des spécimens étudiés sera ensuite analysée. Non pas pour mettre en place un programme de sélection. Mais, au contraire, afin d’identifier les peuplements forestiers présentant, au niveau de ces “gènes d’intérêt climatique”, la plus grande diversité, donc le meilleur potentiel adaptatif. Ces peuplements pourraient alors servir de pépinières pour d’autres régions forestières européennes.

Les scientifiques vont aussi scruter à la loupe le comportement des multiples insectes associés aux écosystèmes forestiers : pas moins de 700 espèces différentes pour les chênes, autant pour les saules, 500 pour les bouleaux et les peupliers, plus de 300 pour les pins… “Veiller à la diversité des arbres, rappelle Antoine Kremer, c’est contribuer, plus largement, à la biodiversité terrestre.” 


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