Petit insecte, grande menace

LE DENDROCTONE DU PIN

Petit insecte, grande menace

15 March 2006

published by www.cyberpresse.ca



Photo Ressources naturelles Canada

Canada — La forêt boréale est menacée par un insecte dont la prolifération est liée aux changements climatiques, affirment des scientifiques. Responsable de ravages sans précédent en Amérique du Nord, ce coléoptère pourrait bien migrer de la Colombie-Britannique au Québec.

Si le dendroctone du pin ponderosa, petite bestiole qui raffole des arbres mûrs, réussit à franchir les Rocheuses vers l’est, le Canada fera face à une crise «d’envergure nationale», préviennent les autorités fédérales.

«Cette menace est très sérieuse, estime George Hoberg, chef du département de foresterie à l’Université de Colombie-Britannique. Le dendroctone pourrait en effet franchir les Rocheuses, s’attaquer aux pinèdes de l’Alberta puis aux pins gris de la forêt boréale. Mais nous ne sommes pas certains que cela va arriver.»

Si cet insecte ravageur sévit depuis le milieu des années 90 dans le centre-ouest de la Colombie-Britannique, le sujet n’a jamais fait les manchettes au Québec. Pourtant, la population de ceminuscule insecte est si importante que plus de 8 millions d’hectares de forêt ont été envahis l’an dernier, soit une superficie plus grande que le Nouveau-Brunswick ou l’Irlande. Il s’agit de l’infestation la plus importante jamais enregistrée en Amérique du Nord.

«Les ravages touchent une énorme portion de notre territoire, explique M. Hoberg. Les projections actuelles prévoient la mort de 80% des pins, la plus importante espèce commerciale de la province.»

Cette «très grave épidémie» estdirectement liée aux changements climatiques, ajoute M. Hoberg.

Si les scientifiques interviewés au Québec se font prudents, tous les intervenants consultés sur la côte Ouest s’entendent sur cette conclusion.

«Depuis 20 ans, les hivers sont de plus en plus doux et les étés de plus en plus chauds et secs, fait remarquer Bill Wilson, directeur du programme sur le dendroctone au Service canadien des forêts (SCF). Cela réduit considérablement la mortalité des dendroctones… tout en contribuant à sa prolifération. En ce sens, c’est toute la forêt canadienne qui est menacée par les changements climatiques.»

Le problème est simple: les hivers sont trop doux. Seule une vague soudaine de froid peut mettre fin à la pullulation du coléoptère. Parallèlement, les étés chauds et secs affaiblissent les arbres, ce qui permet au dendroctone de se multiplier plus rapidement.

Réchauffement planétaire?

Les changements climatiques sont-ils en cause? Les scientifiques de l’Ouest ainsi que le Service canadien des forêts, qui relève du gouvernement fédéral, n’hésitent pas à répondre par l’affirmative.

Cette conclusion fait notamment suite à une étude réalisée par Allan Carroll, du SCF. «Nos données montrent une hausse sensible du nombre d’infestations dans des régions où les conditions climatiques étaient jusque-là défavorables au dendroctone, explique-t-il. De plus, nos modèles prévoient, selon un scénario plausible en matière de changements climatiques, que les habitats favorables continueront à s’étendre vers le nord et vers l’est.»

«Notre principale crainte, ajoute-t-il, est que le ravageur s’attaque au pin gris. Si cela devait se produire, le problème prendrait rapidement une envergure nationale.»

Précisons cependant que si elle s’étendait vers l’est, la crise n’atteindrait jamais les proportions catastrophiques observées en Colombie-Britannique. C’est que les pins ne sont pas prédominants dans la forêt boréale, laquelle renferme entre autres arbres des sapins baumiers, des épinettes noires, des épinettes blanches et des mélèzes.

Deux autres raisons expliquent l’épidémie actuelle: l’absence d’une réaction hâtive et musclée lors du stade initial de l’infestation ainsi que la grande maturité des forêts, conséquence directe de la lutte contre les incendies. Plus les hommes protègent les forêts contre le feu, plus vieux sont les arbres. Or, comme les humains, les arbres gagnent en vulnérabilité avec l’âge.

Québécois prudents

Le discours alarmiste de la Colombie-Britannique, là où se concentre le problème pour l’instant, fait curieusement peu d’adeptes au Québec. Les trois experts contactés par La Presse s’entendent en effet pour dire que le lien entre la prolifération du dendroctone et les changements climatiques n’a pas encore été prouvé hors de tout doute.

«Il n’est pas facile de faire un tel lien, estime Serge Payette, professeur en écologie à l’Université Laval. Je crois qu’il y en a un, mais il est bien difficile à prouver.»

«Bien que ça demeure fort possible, il s’agit pour l’instant d’une hypothèse de travail», renchérit Éric Bauce, chercheur en entomologie forestière.

Pour sa part, Frédéric Raulier, professeur en aménagement forestier à l’Université Laval, rappelle l’existence de cycles climatiques qui pourraient expliquer l’adoucissement des hivers. Certains ne font que quelques années alors que d’autres s’étirent sur plus de 100 ans, ajoute-t-il.

«La différence entre le discours véhiculé en Colombie-Britannique et au Québec s’explique peut-être par le fait qu’ils font face, là-bas, à un problème important et qu’ils tentent de trouver une raison pour l’expliquer.»

L’INFESTATION, ANNÉE APRÈS ANNÉE

1999 : 165 000 ha
2000 : 284 000 ha
2001 : 785 000 ha
2002 : 1 969 000 ha
2003 : 4 200 000 ha
2004 : 7 000 000 ha
2005 : 8 000 000 ha

LES RAISONS DE L’ÉPIDÉMIE

> Un paysage où abonde des arbres vulnérables.

> Des conditions climatiques propices soutenues.

>L’absence de mesures de lutte efficaces lors du stade initial de l’infestation.


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