Feux de forêts : qui est responsable ?

Feux de forêts : qui est responsable?

17 December 2005

published by www.lematin.ma


Maroc — Au moment où certains pays du continent européen (Suisse, Autriche, Allemagne…) sont frappés par des intempéries avec des pluies torrentielles et inondations, les alertes se multiplient dans les autres pays européens du pourtour méditerranéen pour lutter contre les feux de forêts. La sécheresse a sa part de responsabilité dans les gigantesques incendies qui ont ravagé les forêts du Portugal, d’Espagne et la garrigue en France, mais bien moins que la responsabilité directe de l’Homme.

Depuis près d’une décennie, d’immenses régions forestières de la planète s’embrasent tour à tour : en 1997, les forêts de la Malaisie et de l’Indonésie ont été les premières ravagées par d’immenses feux, puis en 1998, l’Amazonie brésilienne, l’île de Palawan aux Philippines, ainsi que le Mexique. En 2003, 2004 et cette année, des centaines de milliers d’hectares de forêts des pays méditerranéens, dont le Maroc, l’Algérie, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et la France, ont flambé toute la saison d’été. Les causes réelles de ces incendies sont bien connues, mais souvent on accuse la nature d’être à l’origine de ces feux. Pourquoi les incendies sont-ils devenus si nombreux et si fréquents? L’effet de changement climatique est-il responsable de ces incendies de forêts? Quelle est la part de responsabilité de l’Homme dans ces incendies ? Que peut-on faire pour éviter une répétition de ces catastrophes environnementales à l’avenir ?

– L’accusé principal en Amérique du Sud est le phénomène «El Niño», ensuite l’Homme
Le phénomène «El Niño» est une anomalie climatique qui se produit «aléatoirement» presque tous les trois ans, lorsque les alizés, qui soufflent d’est en ouest sur le Pacifique, perdent de leur vigueur et forment une énorme masse d’air chaude. Cette masse, de la taille des Etats-Unis, habituellement bloquée par les vents près de l’Indonésie, s’échappe vers les côtes du Pérou, puis repart en sens inverse. Ce mouvement est une des phases d’un système de fluctuation du climat appelé Enso (El Niño Southern Oscillation) qui serait responsable des dérèglements climatiques sur toute la planète en 1997-1998. Ces fluctuations climatiques ont provoqué de grands changements dans la direction des vents, entraînant des courants d’air plus violents: les feux de forêts sont donc plus fréquents et se propagent rapidement. Cependant, l’Homme reste le principal responsable direct des feux de forêts en Amérique du Sud, à cause de la pratique intense de déboisement par le feu. Au Brésil, en 1998, la forêt de l’Etat amazonien du Roraima s’est enflammée suite à cette pratique regrettable de déboisement. En effet, dans cet Etat, le feu est la conséquence avérée de la surexploitation de la forêt par des nouveaux agriculteurs, arrivés en surnombre depuis 1978 et encouragés par les autorités brésiliennes pour coloniser l’Amazonie.
Selon les statistiques de l’Institut de recherches d’Amazonie (INPA) : en 1978, il y avait 80 000 habitants dans le Roraima qui était couvert à 72 % par les forêts, alors qu’en 1996, on comptait plus de 262 000 habitants. Pour conquérir l’Amazonie, les nouveaux colons ont déboisé en brûlant d’immenses superficies de forêts. Entre 1978 et 1996, la superficie dénudée est multipliée par 50 à cause de la forte spéculation foncière : la valeur d’un hectare déboisé dans le Roraima est 10 fois supérieure à celle d’un hectare de forêt. L’Institut de l’environnement brésilien (IBAMA) estime que le plus souvent les incendies de forêts sont d’origine criminelle, provoqués par les exploitants agricoles. On sait à quel point la possession de la terre est un enjeu vital dans un pays où 2% des propriétaires «latifundiaires» détiennent plus de la moitié des superficies exploitées.
Une loi de protection de l’environnement a été promulguée par le Gouvernement brésilien. Cette loi ne condamne pas le recours au brûlis, pour ne pas pénaliser les Indiens dit-on, mais elle prévoit cependant des peines de prison et la fermeture des entreprises coupables de crimes «écologiques». Reste à vérifier si cette loi est vraiment dissuasive pour les grands propriétaires qui monopolisent le domaine économique et politique de tout un pays.

– Le dérèglement climatique et l’Homme sont également accusés en Asie du Sud-Est
En Asie du Sud-Est, le dérèglement climatique est également accusé d’être à l’origine des feux qui ont endommagé de grandes surfaces de forêts de certains pays. Une sécheresse exceptionnelle, avec un climat sec, a persisté dans l’Est Kalimantan jusqu’en 1998, contribuant au déclenchement d’incendies catastrophiques. Pendant la saison d’incendies de 1997 et de 1998, plusieurs rapports émanant des autorités politiques et scientifiques indonésiennes indiquent que la sécheresse qui a frappé le pays était à l’origine de ces feux. Il vrai qu’en Indonésie, le feu a pris en août 1997 lors d’une des sécheresses les plus graves des 50 dernières années, à cause probablement du retard de la saison des moussons (fortes pluies) suite à l’effet d’El Niño. Le territoire du Kalimantan, déjà dégradé par l’intense exploitation forestière, a été dévasté par des feux immenses; même les fortes pluies, certes tardives, ont eu du mal à éteindre les braises.
Cet été, les autorités de Kuala Lumpur soupçonnent franchement les propriétaires et les sociétés de plantations malaisiennes pour la provocation d’immenses feux de forêts en Malaisie et en Indonésie, qui ont contaminé l’air jusqu’à l’île touristique de Phuket, en Thaïlande. Jakarta affirme également que huit plantations sur dix, défrichées de façon illégale par le feu, sont malaisiennes.
Chaque année, lors de la saison sèche, les agriculteurs et les exploitants forestiers en Indonésie et en Malaisie défrichent et préparent des terrains pour les cultures en y mettant le feu. Cette pratique des brûlis, interdite par la loi, est fréquente à Sumatra et Kalimantan. En 1997 et 1998, ces incendies incontrôlés avaient obscurci le ciel d’une partie de l’Asie du Sud-Est pendant des mois, entraînant une forte pollution de l’air et des pertes en vies humaines, provoquant de nombreuses perturbations, notamment dans le trafic aérien, et causant des pertes économiques estimées à 9,3 milliards de dollars.
Il est clair que les incendies qui se sont produits récemment en Indonésie résultent de la conjonction d’une sécheresse extrême et des activités agricoles, notamment l’agriculture traditionnelle sur brûlis et les défrichements à grande échelle pour l’établissement de plantations industrielles. Il est évident que ces pratiques agricoles et forestières rendent de plus en plus les forêts vulnérables au feu.
En effet, en Indonésie, la surexploitation commerciale des forêts dégrade depuis plus de 15 ans la forêt tropicale en toute légalité, et avec pour seul objectif le profit rapide et maximal. Le feu est un moyen qui permet de remplacer rapidement et facilement les espèces d’arbres sans valeur marchande par des essences rentables, comme le palmier à huile ou l’eucalyptus. Selon le ministère indonésien de la Forêt, de 500.000 à 700.000 ha de forêts ont été transformés en plantations en 15 ans. Sur les 560 départs d’incendies qui ont été constatés, la plupart sont dus à une volonté délibérée de destruction. Pourtant, les autorités indonésiennes avaient interdit, depuis 1995, d’allumer des feux. En vain, au moins pour ce qui est des grandes sociétés agricoles et forestières. En 1997, la culpabilité de 160 entreprises indonésiennes a été établie et sur les 46 enquêtes menées à leur terme, cinq ont donné lieu à des poursuites. A signaler qu’en Malaisie, 17 entreprises condamnées pour les feux de forêts ont versé seulement 8000 dollars d’amende!
-La sécheresse et l’Homme restent les principaux accusés en Méditerranée
La sécheresse a fortement affecté, ces dernières années, l’ensemble des pays du bassin méditerranéen, en particulier le Maroc, l’Algérie, le Portugal, l’Espagne et la France. Conséquence de cette sécheresse exceptionnelle: le désolant enchaînement d’incendies de forêts dans ces pays, auquel on assiste impuissant chaque année et qui ne semble jamais prendre fin. Chaque été, les médias rapportent la destruction des forêts méditerranéennes par le feu, ici et là, dans presque tous les pays du pourtour méditerranéen. Au Maroc, 230 incendies en moyenne sont déclarés par an, pour une superficie moyenne de 3000 ha, avec un maximum en 1983 de 11.300 ha. L’année 2004 a été caractérisée par des incendies très violents, dont la forêt d’Izaren dans la région de Sidi Kacem qui a perdu 4500 ha en flammes. La région connue au Maroc pour être la zone à haut risque pour les feux de forêts, et où on enregistre le plus important nombre de départs de feux, est celle du Rif. La seule région de Tétouan et de Chefchaouen a enregistré depuis le début de l’année 2005 plus de 30 incendies qui ont détruit environ 2500 ha de forêts. Dans la région de Kétama, province d’Al-Hoceima, les paysans brûlent chaque année des milliers d’hectares de forêts en pleine montagne pour gagner des nouvelles terres cultivables pour le cannabis. En Algérie, cet été, suite à la canicule (plus de 50°C) qu’a connue le pays, plusieurs foyers de feux ont été constatés sur certains massifs forestiers. Dans la région de Batna, la plus forestière d’Algérie, le Djebel Belezma et les Bni Fedhla ont été atteints par un brasier accentué par le sirocco, vent soufflant à plus de 80 km/h. Le feu a ravagé une importante partie de la forêt de cette région. En 2002, les feux ont détruit plus de 2000 ha, dans le Djebel Kimmel, dans la zone d’Arris. La situation dans le sud de l’Europe est plus dangereuse et plus critique qu’en Afrique du Nord.
Les experts constatent, après une baisse du nombre des incendies en 2004, que les feux de forêts se multiplient de façon dramatique cette année, avec une situation comparable à la saison estivale 2003, où les feux ont brûlé 740.000 ha et provoqué la mort de 40 personnes. Selon les statistiques fournies début juillet 2005, 76.000 ha de forêts ont déjà été ravagés par les feux au Portugal, auxquels s’ajoutent plus de 37.000 ha en Espagne, 14.000 ha en Italie et 15.000 ha en France depuis début août. L’Espagne et le Portugal ont connu cette année la plus grave sécheresse de leur histoire climatique. Au Portugal, la sécheresse couvrait, fin juin, 97% du territoire mais c’est l’Algarve, la région la plus au sud, qui est la plus touchée. En Espagne, on n’avait pas vu une telle désolation depuis les années 40, et les réserves d’eau sont tombées à moins de 20% de leur capacité. En plus de la sécheresse, principale cause des incendies, la négligence humaine (barbecue allumé en forêt, randonneurs mal intentionnés, …) et les «pyromanes» sont les causes directes de la récente hausse du nombre des feux de forêts à travers l’Europe, estime la Commission européenne. Seuls 10% à 15% des feux sont dus à des causes naturelles. Les feux de forêts dans le bassin méditerranéen représentent une part importante des incendies de la planète. On recense en moyenne 60.000 feux par an dans les pays à risque d’incendie de la zone méditerranéenne. Dans certains pays méditerranéens, on enregistre plus de 20.000 feux de forêt par an.
Ces feux détruisent chaque année jusqu’à 700.000 ha en région méditerranéenne et le plus souvent ces incendies éclatent durant la saison sèche.
Quelque 140.000 ha sont déjà partis en fumée dans les feux de forêts qui ont ravagé le sud de l’Europe au cours des sept premiers mois de l’année, selon des chiffres publiés récemment par la Commission européenne.
L’an dernier, 346.766 ha de forêts avaient été détruits: au Portugal (129.600 ha), en Espagne (127.900 ha), en France (10.500 ha), en Italie et en Grèce (10.000 ha), selon le rapport annuel établi par la Commission. Les chiffres, réunis par le Système d’information des feux de forêts européen (EFFIS), montrent que la saison 2005 risque d’être assez mauvaise par rapport à l’année précédente.

-L’éducation et la sensibilisation par les médias sont les meilleurs remèdes
Les pays concernés et menacés par les feux de forêts pourraient sauver, chaque année, des vies humaines, des grandes superficies de forêts, et faire l’économie des dépenses si les populations étaient mieux informées et formées en matière de prévention et de lutte contre les incendies. Les pays européens dépensent, chaque année, des milliards d’euros pour la lutte contre les incendies de forêts et pour les subventions de reboisement.
Malgré l’effet de changement climatique et l’effet de sécheresse qui favorisent ces incendies de forêts, l’intervention anthropique reste la principale cause des incendies de forêts dans le monde. Selon les statistiques, dans 90% des cas, les humains sont les premiers responsables de ces feux de forêts. Contrairement aux autres parties du monde, où un certain nombre de feux sont d’origine naturelle, le bassin méditerranéen se caractérise par la prédominance de feux provoqués exclusivement par l’Homme. Les facteurs directs favorisant les feux de forêts sont connus depuis longtemps: culture sur brûlis, conversion des forêts en champs cultivables, incendies d’origine criminelle ou accidentelle, feux pour brûler les détritus, matériaux et produits rapidement inflammables, pratiques domestiques…
La prévention et la lutte doivent impliquer en premier lieu les riverains à proximité des forêts. Investir dans l’information et la formation en matière de lutte contre les incendies de forêts réduira aussi bien le nombre de ces incendies ainsi que les coûts de leur extinction. Aussi longtemps que les populations ne réaliseront pas le danger qu’il y a à allumer un feu en pleine forêt sans prendre de précautions, surtout en période sèche, les feux vont continuer à ravager chaque année des grands espaces forestiers de notre planète.
Le coût d’une campagne d’éducation en matière de lutte contre les feux de forêts est dérisoire comparé aux coûts d’un Canadair.
Avec le prix de ce dernier, on pourrait informer et former des millions de personnes en prévention et lutte contre les feux de forêts.
La Grèce a lancé une vaste campagne d’éducation en matière de prévention et de lutte au niveau national au lendemain de gigantesques incendies qui ont réduit en cendre plus de 100.000 ha. Grâce à cette campagne, 10.000 ha seulement de forêts ont été détruits par le feu en 2004.

Les techniques de télédétection spatiale sont aujourd’hui indispensables pour la surveillance de l’environnement. Les radiomètres à Très Haute Résolution (AVHRR), embarqués sur la série de satellites NOAA sont parmi les meilleurs systèmes pour la surveillance des feux grâce à la combinaison d’une très bonne résolution temporelle (plusieurs images par jour), d’une résolution spatiale moyenne de 1×1 km2 et d’une résolution spectrale suffisante avec des images dans 5 canaux allant du visible à l’infrarouge. Les canaux dans l’infrarouge moyen et thermique sont utilisés pour la détection automatique des feux de forêts, et complétés par l’utilisation des canaux visible et proche infrarouge pour calculer les valeurs du NDVI (Indice de Végétation Différence Normalisée) pour les périodes précédant et suivant les feux, afin de générer des cartes d’extension des incendies. On utilise également les séquences temporelles de NDVI pour générer un ” indice de risque ” pour les feux futurs. Le coût de ces opérations de télédétection reste très modéré par rapport aux lourdes opérations mobilisées en cas de feux de forêts.

Enfin, il faut adapter une nouvelle législation environnementale à l’échelle mondiale qui persuaderait les populations, les industriels et les exploitants agricoles et forestiers de ne pas pratiquer ou provoquer les feux de forêts. Il est vrai que la plupart des pays prévoient des peines variées en cas d’incendie délibérément provoqué. Cependant, il est difficile de prouver par les tribunaux s’il s’agit d’un incendie criminel, accidentel ou naturel. En plus, les instruments juridiques dont disposent la majorité des pays ne prévoient pas des sanctions lourdes et sévères en cas de feux de forêts d’origine criminelle. L’infraction à la réglementation est généralement punie par de simples amendes.


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