La symphonie pastorale
La symphonie pastorale
8September 2005
published by info.club-corsica.com
En déposant plainte contre X après les incendies qui ont ravagé la Balagne début juillet, certains maires de communes rurales ne se sont-ils pas lourdement trompés dennemis ? « Bientôt, on dira carrément que ce sont les pompiers qui passent leur temps à allumer des départs de feu », observait fin juillet un pompier très amer de retour de trois jours de lutte contre lincendie de Balagne
De 1973 à 2004 près de 1000 mises à feu chaque année
Les régions les plus touchées par les départs de feu de forêt (à gauche) sont celles où lon recense le plus délevages dovins et de caprins (ci-dessous). La preuve par les cartes.
Dans un climat épouvantable de suspicion, les procédures engagées contre le Service départemental dincendie et de secours, ressemblent beaucoup plus à une énième pagnolade quà un véritable souci dagir sur le terrain contre des incendiaires souvent connus. Comment expliquer autrement lextrême concentration des feux dans quelques microrégions à vocation agricole ? Dans une interview accordée en 1999 à La Corse Votre Hebdo, le colonel Antoine Battesti, alors directeur du SDIS de Haute-Corse avait lancé un véritable pavé dans la mare : « la large majorité des feux (70 à 80 %) est dorigine pastorale ». Depuis, des milliers dhectares sont partis en fumée. Et les estimations, certes revues à la baisse, font état de lorigine agropastorale des incendies dans près de la moitié des cas de départs de feu. Un fait qui dérange. Et dont la dénonciation publique lèverait un coin du voile sur les pratiques pastorales dans une île où limage du « berger », farouche gardien dun mode de vie traditionnel, est dautant plus inattaquable que la profession traverse de graves difficultés.
« Nempêche : que font les maires pour surveiller les éleveurs de leur commune ? sinterroge un volontaire du Cap corse. Rien. Parce quils savent très bien quun berger égal une famille, et quune famille égal des voix aux prochaines élections ! » « Dans neuf cas sur dix, le maire connaît lincendiaire. Et dans neuf cas sur dix, il ne fera rien » renchérit un officier de lextrême-sud qui réclame, comme son homologue, lanonymat.
Pour être abrupts, de tels arguments laissent songeur. Dautant que, de source agricole, on indique « quà peine plus de 10 % des éleveurs seraient responsables de la quasi-totalité des incendies imputables à la pratique agropastorale ». Des incendiaires « traçables », donc. Et pourtant insaisissables.
Les communes se montrent par ailleurs plutôt réticentes à honorer leurs obligations contributives certes assez lourdes à la lutte contre les incendies. Début 2005, le Sdis de Haute-Corse se retrouvait plombé dun déficit de 6 millions deuros en raison du non-paiement par trente communes de leur cotisation annuelle, pourtant obligatoires. Sans parler des obligations de débroussailler, peu respectées.
Ce qui faisait observer à un lecteur du Corse-Matin, début juillet : « le feu [
] nest rien dautre que le prix que nous payons pour ce manque de respect que nous devons à notre terre [
], et à notre système politique qui fortifie son électorat en utilisant la loi selon son bon vouloir, ce qui contribue à maintenir en place le principe du service rendu, un aspect du clientélisme. » On ne saurait mieuxdire.
Seules les communes ayant connu plus de 100 mises à feu ont été recensées et regroupées par micro- régions afin dobtenir une vue significative du problème. Dans certaines zones, il peut arriver quune seule commune ait connu, en trente ans, plus de 100 mises à feu. En Corse-du-sud, cest le cas de Cauro (114 départs de feu) pour le Prunelli, de Grossetto-Prugna (101 départs) sur la Rive sud, de Sartène (992 départs) et de Levie (125 départs) dans lAlta Rocca. En Haute-Corse, le phénomène est plus complexe : dans certaines microrégions, quelques communes concentrent lessentiel des départs de feu. Plus de la moitié des mises à feu constatées en Balagne ont ainsi été enregistrées sur le territoire de quatre communes seulement : Calenzana (597), Calvi (327), Aregno (175) et Lumio (169). Idem pour le Cap corse, où seuls les villages de Rogliano (142) et Sisco (112) ont connu plus de 100 départs de feu. Si cette carte fournit une bonne indication des zones les plus fortement touchées, les chiffres réels sont cependant plus importants puisquils incluent lensemble des mises à feu comptabilisées en trente ans, soit 28 000.